Montréal Underground Origins Blog

Ninth Floor: En revisitant l’Affaire Sir George Williams, Montréal 1969

25.01.2016

À l’occasion de la projection cinéma d’un nouveau film documentaire de l’ONF, Ninth Floor (Neuvième étage), Archive Montréal a numérisé un certain nombre de journaux étudiants et d’images issus de ses archives publiés au cours de la terrible Affaire Sir George Williams (largement connue sous ce nom à l’époque), qui s’est déroulée en janvier et février 1969, dans ce qui deviendra l’actuel Hall Building de l’Université Concordia au centre-ville de Montréal.

Le premier numéro du journal étudiant The Georgian suite à l’Affaire Sir George.

Le premier numéro du journal étudiant The Georgian suite à l’Affaire Sir George Williams.

La première du film s’est tenue en septembre 2015, et incluait des enregistrements étudiants sur magnétoscope récemment déterrés figurant les dirigeants des soulèvements et les différentes occupations qui ont eu lieu durant la crise. Il est grand temps que ce chapitre important dans l’histoire locale et canadienne reçoive une plus grande visibilité. Les ondes de choc découlant de l’incident se sont rendues à travers les universités canadiennes, les forçant toutes de reconsidérer si oui ou non leur culture profonde et façons de faire étaient déphasées par rapport à l’évolution rapide du monde moderne. Bien que l’acceptation passive du racisme parmi les rangs de la faculté fut l’enjeu principal, la mauvaise gestion de l’affaire par l’Université et les forces de la loi et de l’ordre était un facteur majeur dans la malheureuse séquence des événements. En bref, les vieilles et rigides institutions anglo-saxonnes principalement blanches, comme l’Université Sir George, à la fin des années 1960, n’avaient pas encore compris que les temps changeaient ; que les étudiants avaient besoin d’être impliqués dans l’évolution des politiques et des résolutions de problèmes universitaires ; que l’époque du Canada blanc, sage et conservateur des années 1950 était révolu.

L’une des premières séances de projection du film Ninth Floor s’est tenue début septembre 2015 dans le Hall Building lui-même. Plusieurs des acteurs dans l’affaire y ont assisté, incluant le sénateur canadien de longue-date Anne Cools — qui avait été arrêtée durant l’Affaire Sir George Williams — et plusieurs autres qui avaient été présents à l‘époque. Au cours d’une séance extensive de questions et réponses suite à la projection, on a soulevé la question à savoir si l’Université avait réellement appris sa leçon en 1969, avec plusieurs périodes d’agitation à Concordia tel qu’au début des années 2000 ou durant le Printemps érable de 2012, parmi les exemples mentionnés. Les cinéastes ont répondu que pour les fins de leur film, du moins, l’Université était très ouverte et disposée à fournir l’accès à n’importe quel matériel d’archive, sans poser de questions. Archive Montréal peut témoigner de cette transparence, ayant reçu la permission de l’Université de publier à nouveau ses copies de journaux étudiants de cette époque sur le présent site Web.

On peut certainement débattre à savoir si Concordia ou les autres Universités locales sont réellement aussi inclusives qu’ils devraient l’être, dans leurs prises de décision, face aux étudiants ou aux communautés marginalisées, et le fait de savoir si les Universités gèrent correctement les manifestations et les soulèvements est encore très contestable. Mais comme chapitre important de notre histoire, il est difficile de nier l’importance qu’a eu l’Affaire Sir George Williams à ce jour et la pertinence de ses nombreuses leçons pour les Universités ainsi que pour les professeurs, les étudiants et les manifestants de tout genre aujourd’hui. La critique de film ici et a beaucoup contribué à sensibiliser les gens à cette affaire et à sa pertinence toujours d’actualité.

Nous avons parlé à plusieurs individus dans le cadre du projet Montreal Underground Origins qui allaient à l’Université Sir George à l’époque de cette crise ou qui y avaient un quelconque rôle.

Le poète vétéran montréalais Endré Farkas, étudiant de l’Université Sir George Williams durant la crise, a raconté son expérience dans une entrevue postée ailleurs sur ce site Web.

EF: Je faisais parti de l’occupation. Il y avait deux types d’occupations… La première était celle des étudiants noirs. Ils ont occupé les étages des ordinateurs, et peut-être une semaine plus tard, les étudiants blancs – en solidarité – ont occupé la cafétéria. On a aussi occupé le salon des professeurs de la faculté – c’est à ce moment-là que les professeurs se sont retournés contre nous : quand ils ne pouvaient plus avoir accès à leur alcool. Alors j’était present dans cette seconde occupation —juste comme corps d’émeute, je ne faisais pas partie des dirigeants.
LR: Et comment cela fonctionnait-il ? Deviez-vous réellement y passer un certain nombre de nuits ?
EF: Ouais, on s’est installé, on a amené nos sacs de couchage.
LR: Et les coureurs allaient chercher la nourriture ?
EF: Bien, on avait pris le contrôle de la cafétéria alors nous fournissions la nourriture [aux diverses occupations, mais il y avait de la flexibilité pour aller et venir. Ce n’était que vers les derniers soirs, lorsqu’il y avait la rumeur qui courrait que les policiers étaient sur leur chemin, que les allées et venues furent contrôlées.
LR: Alors, ils ne faisaient pas appel aux brigades anti-émeutes à l’époque ? Comme pour le mouvement étudiant du carré rouge en 2012 ?
EF: Oh, non. C’étaient des policiers réguliers et personne, au Canada, n’a connu ce genre de problème auparavant et si je me fie à ma mémoire, on entendait différentes pièces d’information mais supposément il y avait un compromis à savoir si les étudiants allaient avoir le droit de repasser les examens.
LR: C’était ça l’affaire, de faire taire la plainte qu’ils avaient reçu au sujet du professeur qui faisait échouer tous les étudiants noirs et la commission d’examen qui soutenait le professeur.
EF: Oui. Et puis les policiers ont commencé à entrer lorsque nous pensions que tout était terminé, et que tout avait été négocié. Puis les étudiants noirs ont commencé à jeter des choses par les fenêtres de la salle informatique : pas tant les ordinateurs que les cartes à perforer—celles-ci contenaient les thèses des étudiants, vous savez. C’est là que vous pouviez entendre d’en bas d’autres étudiants crier « Tuer les nègres ! »
LR: Alors il y a avait une contre-manifestation? Tout comme aujourd’hui, un noyau d’étudiants qui ne veulent qu’étudier et ne pas avoir à s’occuper de politique.
EF: Oui, et n’interfère pas avec mon droit à l’éducation même si cela signifie que je doive la payer plus chère. On retrouvait habituellement les étudiants en Science politique, en Philosophie et les majeurs en Anglais à gauche, et à droite, les étudiants en Économie et Affaires et en génie. Cela n’a pas beaucoup changé… la nuit précédente [à la descente de police], je suis allé à la maison parce que je ne me sentais pas bien, et la nuit suivante les policiers ont fait une descente. Alors je n’ai jamais été chopé…
LR: Est-ce que certains de vos amis ont été arrêtés ?
EF: Ouais, mais ce sont principalement les étudiants noirs qui ont été arrêtés, les Blancs ont été relâchés avec un avertissement ou une amende. Les étudiants noirs ont été mis en prison. Je pense que nous étions uniques dans le sens où c’était la première crise du genre à l’extérieur des États-Unis.

Freda Guttman, artiste et activiste vétéran de Montréal  
 L’artiste Erik Slutsky sur la scène musicale du Montréal des années 60 – 70

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Commentaires

  1. Victor Teboul, Ph.D.
    mercredi, août 2nd, 2017
    Je pense, pour ma part, que l'accusation de racisme est excessive. J'étais étudiant, durant ces années, à l'Université Sir George Williams, et mon professeur de sociologie était un Noir. Il s'appelait Potter, et je lui ai posé la question plusieurs années plus tard, car il habitait, comme moi, à Notre-Dame-de-Grâce. D'après ce qu'il m'a dit, la question de la couleur de sa peau n'était jamais un sujet qui le préoccupait et le fait qu'il était Noir n'avait pas fait l'objet de quelque discrimination que ce soit lors de son embauche.

    Il aurait été utile dans la recherche de la vérité d'interroger aussi des gens qui ont vécu autre chose que du racisme à SGWU.

    Victor Teboul, Ph.D., écrivain, directeur du magazine Tolerance.ca
    www.victorteboul.com
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