Montréal Underground Origins Blog

LOGOS et la contre culture de Montréal

12.06.2019

Logos, Vol. 1, No. 7, cover

PK: Plus tard, quand on était rendu à notre dernier numéro, c’était 25 000, mais ça a commencé par 5000 ou quelque chose comme ça.
Mais immédiatement avec le premier numéro de Logos, nous avons tous été arrêtés par la police de Montréal. Tout d’abord, ils ont accusé le journal de ne pas être très catholique, et d’abord j’ai cru qu’il faisait référence au sens plus universel du terme, alors j’étais un peu fâché que ça n’ait pas été jugé catholique. Puis j’ai réalisé qu’il parlait de la vraie religion, et j’ai dit : « Oh mon Dieu ! Non. Ça ne l’est pas ! En effet, c’était très anti-catholique, » et il a dit : « Uh huh, bien, maintenant nous sommes forcés de vous inculper ! »
C’était un combat continu entre nous et la Police de Montréal, et ils étaient sûrement encouragés et dirigés par le Maire Drapeau. Ils déclaraient que nous n’avions pas de permis pour vendre le journal dans les rues, en effet nous n’en avions pas ! Et nous déclarions que nous ne pouvions pas nous procurer un permis pour vendre un journal dans les rues, parce que ce serait une atteinte à la liberté de presse. Ceci était le cas parce que s’il fallait se procurer un permis pour la vente d’un journal dans la rue, ça voulait dire qu’il faudrait passer par un processus, et à la fin du processus, on pourrait vous refuser le permis, ce qui serait, encore une fois, une atteinte à la liberté de presse. En fait, nous avons mis en scène ces photo-opportunités… nous allions à l’hôtel de ville et essayions de nous procurer un permis pour vendre le journal, et nous finissions, évidemment, par ne pas recevoir de permis parce qu’il n’y avait rien de tel.

Logos, Vol. 1, No. 7, p. 23

Mais à la fin, nous avons dû recevoir plus de 150 chefs d’accusation contre différentes personnes, beaucoup d’entre elles étant des conscrits réfractaires qui, s’ils étaient jugés coupables de la soi-disant importante offense criminelle, seraient renvoyés aux États-Unis. Mais cela ne les empêcha pas de vendre le journal dans la rue.

Il y avait une grande variété de personnes qui le vendaient. À un moment donné, même le dramaturge David Fennario, connu principalement pour sa pièce plus récente Balconville, passait pour vendre le journal.
AK: C’était principalement des jeunes, évidemment. C’était un moyen comme un autre de faire un peu d’argent supplémentaire.
LR: Au début c’était bilingue mais cela n’a pas duré très longtemps, pourquoi donc ?
PK: C’était une époque intéressante à Montréal et au Canada. Logos a été invité au premier Congrès culturel à la Havane, Cuba. À cette époque, nous avions un certain nombre de Québécois avec nous, et une personne importante à ce point-là du développement du côté québécois de Logos est Jacques Leroux-Langlois. Nous sommes revenus du Congrès culturel très inspirés, et avons imprimé un supplément sur le Congrès culturel dans le second numéro je crois, ainsi que le matériel que ramena Jacques.
Un autre petit incident était que lorsque la police a perquisitionné notre établissement—ce qu’ils firent à plusieurs reprises !—nous avions un paquet d’informations qui nous avaient été données pour ce Congrès mentionnant « avec les compliments de l’ambassade de Cuba à Montréal ». Alors nous avons découpé ce morceau de carton et l’avons collé avec du ruban-adhésif à notre machine à écrire IBM Selectric de couleur rouge vif, et le reporter de presse, un an plus tard, a annoncé que nous avions reçu en cadeau une machine à écrire communiste de la Havane ! (rires)

Logos, Vol. 1, No. 6, p. 9

De toute façon, dans le numéro suivant, nous avons accueilli chaleureusement l’indépendance du Québec, complètement, et nous avions des articles de Gagnon et Vallières, c’était les gars du FLQ en prison à l’époque, accusés de terrorisme et d’autres chefs d’accusation, mais qui étaient encore en communication avec leur monde à Montréal; nous avons publié certains de leurs articles. Et c’est devenu apparent à nos yeux que—en tant que journal bilingue—nous maintenions la même structure que celle du Canada. Alors nous avons assemblé un grand numéro, pour séparer les deux langues, en déclarant l’indépendance à un journal francophone appelé « Le Voyage » (publicisé dans Logos #5). Un nombre d’individus qui faisaient partie de la famille Logos à l’époque ont déménagé et publié ça tandis que nous maintenions une entité anglophone autonome.

Logos, Vol. 1, No. 5, p. 1

Une fois séparés, nous sommes n’avons pas coupé les ponts, mais nos lignes éditoriales et nos contenus étaient indépendants. Au fil du temps, plusieurs de ces personnes sont restées en contact, et cela a été bien utile au cours des multiples poursuites judiciaires desquelles nous avons eu à répondre.
AT : Y a-t-il un numéro de Logos dont vous êtes particulièrement fiers ou qui porte un sens particulier à vos yeux?
PK : Mmh (montrant différents numéros), je me suis fais prendre pour celui-là, et arrêté pour celui-ci aussi…
AT : Qu’est-ce qui était offensif dans ce numéro?
PK : Il y a l’image d’une femme dans une baignoire… Ils n’avaient pas besoin de raison.
LR : Et puis il y a ce numéro…
AK : On m’a demandé de poser pour la couverture pour laquelle mon corps a été peint, il n’y avait pas Photoshop à l’époque ! (rires) Mon corps a donc été peint et je posais avec ma main devant mon visage, comme si j’embrassais ce qui se tenait dans la paume de ma main…Plus tard, l’image du policier qui sort son revolver a été surimposée. Dès sa sortie le numéro a été banni, jugé obscène ! Alors que le magazine Playboy, lui, était populaire et ne rencontrait pas de problème à être distribué. Mais qu’une femme se moque d’un policier montréalais, c’était trop politique, hors-la-loi. Donc ce numéro est resté underground, peu de copies ont circulé. J’étais encore étudiante aux Beaux-Arts, et Paul a été accusé de publier des contenus obscènes. La raison principale de notre départ est le fait que Paul était contraint par la loi québécoise à arrêter ses activités de publication, car c’était une poursuite civile contrairement à une sédition (le problème avec Drapeau), rendant le cas criminel et d’ordre fédéral.

Logos, Vol. 1, No. 5, p. 10-11

PK: Aussi, comme je disais, dès le début de Logos, chaque nouveau numéro était intercepté car nous n’avions pas de permis de vente! Au tout premier numéro, Chandra et moi avons été arrêtés ensemble, ça n’a fait que s’amplifier et on disait aux gens : “Continuez d’avancer, ne vous arrêtez pas! Vendez un numéro et disparaissez du chemin!”
LR : En combien de temps le journal a-t-il décollé ?
PK : C’est allé assez vite, dès le premier numéro nous avons attiré des gens comme McLaren et la communauté de l’ONF, et certaines des personnes qui gravitaient autour de Take One.
AT : Le lectorat était-il une audience de collégiens et d’universitaires, ou aviez-vous des groupes d’adolescents qui s’intéressaient aussi au magazine ?
AK : Je crois que beaucoup de personnes habitant en périphérie se le procuraient, et de nombreux jeunes venaient en ville pour vendre le journal. Tout cela participait au grand mouvement populaire présent dans les rues à cette époque.

Logos, Vol. 1, No. 5, p. 3

PK: Il y a ce numéro ici, il y avait un gars qui était un peu… c’était un pharmacien nommé Lloyd Stone, qui faisait rouler la boutique familiale, en Nouvelle-Écosse. Il était probablement dans la quarantaine, et nous, nous étions au début de la vingtaine. Il est venu à Montréal et a découvert le magazine, et il nous a dit, “J’achèterai une publicité dans chacun de vos numéros, vous ferez ce que vous voulez avec l’argent.” Il a acheté la quatrième de couverture une fois.
LR : Avant que nous ne parlions du numéro de Logos le plus connu, je voudrais revenir sur votre mention d’une anecdote à la conférence sur la contre-culture, à propos d’une farce journalistique…
PK : La conférence marquait mon premier retour à McGill depuis 1966. À ce moment-là, il y a avait un auteur particulièrement intéressant, Paul Krassener, qui publiait un périodique appelé The Realist. Vers la fin de l’été 1966, il publia un article que l’on pourrait qualifier de satire extrême. Il aurait fallu être tout à fait paranoïaque pour gober un mot de son texte. Sans rentrer dans les détails, c’était l’histoire de Lyndon Johnson se masturbant dans les cicatrices de Kennedy sur le vol retour Dallas-Washington. Et donc, courageusement, l’éditeur en chef du McGill Daily a décidé de publier l’article, mais il a été mis à la porte trois jours plus tard car les régents de McGill avaient crû le texte véridique ! (rires) Ce qui en soi est toute une déclaration…

Logos, Vol. 1, No. 5, p. 14

Donc, plusieurs d’entre nous étions enragés par cette atteinte aux libertés de la presse, et nous avons organisé des manifestions et des rallyes. Nous n’étions pas nombreux, autour de 150 personnes. À un moment donné, nous avons occupé l’édifice administratif, et la police est venue nous menacer de nous inculper pour toutes sortes de raisons. Cette déclaration a fait fuir du monde, et nous étions entre 20 et 25 personnes à être toujours sur les lieux. Nous avons décidé d’intensifier le sit-in et sommes montés à l’étage pour occuper le bureau du président. De ce poste, nous avons fouillé dans les dossiers du président, et sommes tombés sur des preuves de l’implication de l’Université McGill dans la recherche sur l’armement en lien avec la guerre au Vietnam. Nous en avions trouvé l’évidence, noir sur blanc.

Logos, Vol. 1, No. 9, p. 1-2

LR : Ça ressemble à ce qui aurait pu se retrouver dans le McGill Student Handbook (Manuel étudiant de McGill) radical dont nous parlions plus tôt. L’incident du McGill Daily préfigure certainement ce qui est arrivé avec le fameux numéro de Logos…
PK : Notre concept pour faire un journal était que nous concevions une œuvre de théâtre-guérilla. À l’époque, le théâtre-guérilla allait main dans la main avec le mouvement anti-guerre, puis il a évolué vers l’idée de liberté de réunion et finalement – aux États-Unis – en liberté de pensée! Le journal a donc aussi suivi ces directions.
Un après-midi, quatre ou cinq d’entre nous étions rassemblés dans un café de l’avenue du Parc. Quelqu’un revenait de Boston et avait vu la une suivante dans The Boston Globe : “Yankees fusillés par des membres du FNL du Sud Viêt Nam en manque de drogues!” C’était la vraie couverture, et j’étais vraiment flabbergasté par l’inimaginable dose d’exagération de ces déclarations enflammées. Évidemment, les grands tabloïds de l’époque passaient un temps fou

Logos, Vol. 1, No. 8, p. 3

à penser à des unes comme ça, et les utilisaient pour gonfler les ventes de leurs journaux. Ainsi, l’idée d’une fausse édition de The Gazette était née, et nous choisissions la une : “Le maire fusillé par un hippie en manque de drogues !” C’était donc une oeuvre de théâtre pirate, de journalisme pirate.
Adrianna et moi avons passé des heures dans la bibliothèque de The Gazette, et la une de notre édition revisitait celle de l’assassinat de Kennedy. Nous insérions nos propres histoires, mais le ton et la structure de la une étaient identique à la couverture de Kennedy dans The Gazette.
AK : Je crois que nous avions inversé le “G” de The Gazette pour ne pas nous faire prendre ! (rires) Et les polices d’écriture…
PK : Tout était en ordre, à part cet article-là… (pointant spécifiquement l’article)
AK : …rejeté par l’imprimeur Midnight.
PK : Il était trop aberrant ! Quand tu plonges dans ces choses-là, il y a une certaine part de naïveté, et tu rêves d’avoir tellement d’impact, mais tu ne penses pas que ça va réellement arriver…Nous nous étions bien organisés, et quand le journal fut imprimé et plié en deux, vu à 4-5 pieds de distance, on aurait cru à un numéro de The Gazette. Nous l’avions entièrement mis en page et rédigé, mais nous n’ébruitions pas trop la nouvelle car nous anticipions une réaction extrême. Nous avions déjà été en prison et accusés de tant de soi-disant offenses, on savait qu’on allait se faire taper sur les doigts. Nous voulions développer une stratégie pour faire le plus de bruit possible. On a réalisé que la meilleure façon de le faire serait de regrouper ces magazines et de créer une pièce de théâtre de rue avec.

Logos, Vol. 1, No. 9, p. 3-4

Peter Katadotis – qui dirigea l’ONF par la suite – faisait le taxi gratuitement pour nous dans la ville. Il ne faisait pas partie du noyau dur de Logos de l’époque, mais il avait entendu parler de nous et était si motivé à participer ! Elle et moi sommes montés dans une voiture avec Peter et nos piles de journaux – les piles étaient étiquetées pour les stations de métro et aussi pour la CBC et d’autres stations de radio, et, théâtralement, nous prenions par exemple la pile pour Berri et commencions à courir dans la station de métro en nous époumonant : “Le maire fusillé ! La maire fusillé ! Le maire fusillé !” Puis nous déposions la pile de journaux sur un présentoir et quittions les lieux au plus vite.
Au procès, qui a eu lieu l’année suivante, j’ai été impressionné par les réactions. Ce qui s’est passé c’est que nous avons laissé nos journaux au vieil édifice de CBC sur Dorchester (maintenant René-Levesque), et nous ne le savions pas sur le moment, mais ils ont arrêté les transmissions à l’échelle nationale, invité des experts et les ont fait parler au sujet de cet événement terrible d’assassinat du maire par un hippie fou drogué. Ça aurait été très facile d’ouvrir le magazine pour comprendre que c’était Logos, car le reste de la publication était une incroyable mise en page de graphisme et d’art. Donc, c’était évident que c’était un numéro de Logos, une parodie logosienne, et en ce sens je peux vous référer à La guerre des mondes d’Orson Welles, dans les années 30. Il n’y a pas de doute qu’il y a rapidement l’impulsion naïve causée par la panique de sonner l’alarme dans ces situations. Je veux dire, rétrospectivement, c’est ce que la loi C-51 est, un appui sur le bouton-panique.

Logos, Vol. 1, No. 9, p. 13-14

Une de nos causes, au-delà du problème de distribuer un journal sans permis à Montréal, était de démontrer que les journaux sont vendus par leurs grands titres. Le contenu est pris en otage par la une, qui est souvent fausse ou exagérée. C’est pourquoi nous avions choisi une couverture si explosive.
Évidemment, après la distribution du journal et le retour sur l’événement, ils étaient extrêmement embarrassés. L’égo de la police et du maire… Ils étaient tous déconcertés et complètement angoissés qu’on ait réussi à faire ça.
Ils ont dont diffusé un bulletin spécial, où ils envoyaient des patrouilles de police partout dans la ville, et des officiers armés pour arrêter toutes les personnes de Logos et perquisitionner la maison Logos.
Dans tes rêves tu penses : “Oh, ceci va avoir un impact énorme, significatif. Ça va changer les choses.” Même dans nos rêves les plus fous, nous n’avions pas anticipé que la nouvelle ferait le tour du pays. J’ai reçu un coup de fil du journaliste Phil Winslow de The Gazette. Il sortait à peine de la réunion des éditeurs sur l’événement. Aux bureaux, ils avaient des scanners de la police, et il m’a dit “Sortez de là ! Ils arrivent ! Ils viennent à la maison Logos !” Nous avons vite emballé des choses et quitté la maison. Adriana et moi sommes allés dans l’appartement d’un ami à un bloc de là, et les autres ont disparu dans la maison d’autres connaissances. Puis la police est arrivée, et selon les voisins, les policiers avaient beaucoup de voitures, avec tous leurs gyrophares et leurs armes prêtes, et ils ont commencé à forcer les portes. Ils ont tiré sur un journaliste de radio, arrivé sur les lieux quelques instants avant la police, qui a dû esquiver le coup et hurler qu’il était journaliste.

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 John Heward

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