Montréal Underground Origins Blog

À la porte du New Penelope Café avec Allan Youster

30.11.2016

LR: Qu’en est-il des autres salles de concert de l’époque ?
AY: Il y avait le Black Bottom. Je ne traînais pas là-bas, mais j’y allais de temps en temps. Coltrane a joué là. J’ai vu des musiciens locaux là-bas, plusieurs groupes, plusieurs fois, j’ai vu Raahsan Roland Kirk. Ils avaient une femme blanche là-bas—une femme blanche—mais avec un cul noir ! Ils avaient autrefois un restaurant là-dedans et ils faisaient de la bouffe formidable, de la superbe cuisine du Sud. Ça c’était dans le Vieux Montréal, un bloc avant St-Laurent sur St-Paul. À l’époque, c’était un coin assez désert en fait. Vous alliez là et vous faisiez des trips de LSD parce que personne ne vous dérangeait. Personne n’était là le soir. Il y avait des clubs, David le fabricant de bougies était dans ce coin-là, vous souvenez-vous des bougies de sable ? Ils avaient des moules et ils y versaient la cire et la sortaient et il y avait du sable dessus, avec des pattes… il les fabriquait dans ce coin dans sa boutique hippie. Il y avait aussi la Boîte à chanson. Il y avait beaucoup de choses qui se passaient, mais il fallait creuser pour trouver de quoi…
Le McGill Ballroom avait certaines choses, je me souviens que la première fois que j’ai vu « Walking »—le film de Ryan Larkin—j’étais sur le LSD au Ballroom, et c’est quelque chose à voir quand t’es sur le LSD ! Tu ne sais pas si tu es en train d’halluciner ou pas !! (rires)
LR: Les gens nous racontaient qu’ils sortaient le soir et manquaient le dernier bus pour retourner chez eux, et il y avait cette place qui s’appelait The Bus Stop (traduction : l’arrêt de bus)…
AY: The Bus Stop était proche de Sherbrooke à Guy. Il y a un genre de bâtiment chic et quand on va derrière, c’est de vieilles maisons en retrait, c’était dans la première maison de pierre grise, au sous-sol.
LR: Alliez-vous là-bas ?
AY: Oh ouais ! Je passais du temps là-bas et aux délis, les délis ouverts toute la nuit : Ben’s était l’un d’entre eux, mais mon préféré était le Dunn’s ouvert 24 heures sur 24, mais ça prenait de l’argent. The Bus Stop c’était pour quand tu n’avais pas d’argent, parce que tu pouvais simplement t’y asseoir. Si t’avais de l’argent, tu te prenais une part de gâteau au fromage et un café !
img20140922_20505997bwwLR: Que pouvez-vous ajouter quant à la triste fin [du New Penelope]. Vous étiez là lorsque Gary rassemblé le monde et a dit : « C’est fini » ? Vous deviez être triste aussi ?
AY: Ouais ! Au fond, j’étais sous le choc ! Mais ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai vraiment réalisé… ce qui se passait. Je savais à peu près ce que j’allais faire—sortir et trouver un autre boulot ! Vous voyez, les boulots étaient faciles à l’époque, c’était complètement une autre affaire de marcher dehors et d’en chercher un, à une piastre et demie l’heure. Tu sortais dans la rue et tu te trouvais du boulot, tout simplement.
Je me suis retrouvé à travailler au centre commercial Côte-Vertu, près de l’Acadie, qui était légèrement plus construit dans le temps, juste passé la station de train. Il y avait un Broasty Chicken, une entreprise américaine qui est apparue ici, j’ai eu un boulot là-bas et j’y suis resté beaucoup plus longtemps que je n’aurais dû. Deux femmes étaient propriétaires de la place, et tous les soirs nous buvions 48 bières et au moins 40 onces de rye whisky, au moins ! Je suis resté là au moins un an—j’ai démissionné ou j’ai été viré—peu importe, je me suis enfui ! (rires) C’était trop fou ! Le poulet était super, c’était du poulet frit incroyable, ils le cuisaient sous pression, alors le poulet sortait pas trop gras. Ça c’était en 1970.
LR: Mais qu’en est-il de la perte de cet endroit où vous aviez votre dose de musique live tous les soirs ? Qu’est-ce qui a pris sa place ?
AY: Il n’y avait pas grand chose d’autre qui se passait dans le temps. La Place des Nations avait des super concerts pendant plusieurs années après [Expo 67]. Le son était incertain, c’était extérieur, et ça dépendait vraiment de la direction du vent, je ne blague pas ! Ça dépendait vraiment, vraiment de ça ! Et les disques étaient vraiment importants.
LR: Où les achetiez-vous pour la plupart ?
AY: Les disques coûtaient 3.98 $. Au Record Centre, ça c’était avant The Penelope et ça a continué à me donner ma dose après The Penelope…Edgar Jones…il a aidé beaucoup de gens.
LR: Qu’en était-il de votre vie quotidienne ? Lorsque vous avez eu votre premier appartement, combien était le loyer ?
AY: Mon premier appart, je le louais avec un ami à moi, je ne me souviens même plus ce qu’on payait mais c’était pas beaucoup. Puis j’ai loué un appartement avec Gail de l’autre côté de la rue sur laquelle Tepley avait son magasin—c’était un 6 1/2—88 $ chauffé et il y avait un foyer ! C’était au-dessus de Betty Brites [nettoyeur] juste au coin de MacDonald et Décarie. Je me souviens de la réaction de Gail lorsque je le lui ai montré, elle a dit : « C’est trop grand ! », alors j’ai fermé 2 portes et j’ai dit : « C’est un 4 ½ et ça coûte encore 88 $ par mois ! » C’était juste de l’autre côté de la rue du Texas Tavern, et à côté de ça il y avait le Galaxy Hotel & Bar. À l’école secondaire, je me souviens que le barman du Texas avait dit : « Hé ! Arrêtez de venir ici avec votre sac d’école ! », et je disais : « Oh ! Désolé, désolé ! »
LR: Alors, vous vous déplaciez de St-Laurent à McGill lorsque vous avez commencé à travailler là-bas ?
AY: Ouais, je prenais le bus 17, ou je faisais de l’auto-stop, après nous avons eu des vélos—tout pour ne pas prendre le bus. Le bus était si triste ! Je me souviens de la tempête de neige de 1972. Nous étions en route vers le travail et Décarie était bloquée—nous étions des guerriers—nous avons marché jusqu’à Sainte-Croix, avons pris le 16, traversé TMR et nous nous sommes retrouvés à marcher jusqu’à chez nous au retour—nous sommes restés bloqués à TMR—ça ç’en était une bonne ! Il y avait tellement de neige que des gars se sont trouvé des motoneiges et allaient cambrioler des banques! (rires) La police n’arrivait pas à les attraper !

A poster for a 1970 benefit show for promoter Alain Simard (later founder of Montreal's Jazz Festival) in Ville St-Laurent, from the collection of Alex Taylor.

A poster for a 1970 benefit show for promoter Alain Simard (later founder of Montreal’s Jazz Festival) in Ville St-Laurent, from the collection of Alex Taylor.

À l’époque, le Texas était vieille école, ça ouvrait à 8 heures et il y avait du monde qui arrivait à 8 heures moins 10 ! C’était ce genre de place, mais l’autre clientèle était d’un autre genre, c’était des gangs, il y avait du trouble. La première communauté ethnique à St-Laurent était ce que j’appellerais la Petite Israël. Il y avait Alexis-Nihon autour, et c’était un quartier entièrement juif, presque tout le monde qui y vivait était Juif. Lorsque je suis allé à l’école secondaire Winston Churchill un jour de fête juive, c’était vide !
Il y avait l’ancienne partie de ville St-Laurent qui était très Catholique et Canadien français, puis il y avait le secteur anglophone qui était probablement dans le coin de Décarie et des appartements Crevier, puis il y avait le district juif, toutes les nouvelles maisons et une synagogue dans le coin. Je distribuais les journaux à tout ce voisinage.
LR: Vous avez perdu des amis, je suppose, lorsqu’ils sont allés à Toronto à l’approche de 1975-76 ? Le PQ arrive et il y a cette affaire d’exode…
AY: Ouais. Nous étions pas mal politiquement naïfs à l’époque parce que tout ça était arrivé pas mal sans nous. Je l’ai compris après que ça se soit passé—toute l’affaire des Français-Anglais. Il y avait de la tension parce que pendant les soulèvements là-bas, ils utilisaient des lames de rasoir sur les chevaux de [police]. C’était méchant, mais ça arrivait au temps du Penelope. Menant à ce moment-là après l’école secondaire à ville St-Laurent, c’était pas mal fini ça pour moi. Il n’y avait aucun sens dans tout cela. Vous voyez, la Révolution tranquille était appelée comme cela parce que c’est exactement ce que c’était—c’était silencieux !
LR: Mais n’étiez-vous pas dans un environnement 100% anglo à Winston Churchill ?
AY: Oh, l’école elle-même était 100%. Mike Fauquet, mon meilleur ami, était Canadien-Français, mais il parlait français et anglais. Il était artiste au fond, alors il s’en foutait de tout ça, et Roger Rodier, il était venu à la maison beaucoup de fois, et s’il te parlait, il te parlait anglais parfaitement, et français parfaitement et il écrivait seulement en anglais, c’était ce genre de type. Son album était incroyable à l’époque [1972], mais je pense qu’il est devenu vraiment désillusionné par la réaction au Québec et bien sûr, n’importe qui dans l’industrie du disque va se faire avoir vous savez… J’ai traîné avec Mike et Bob Panetta—il n’est pas italien—il est français ! Étrangement, l’affaire c’était qu’ils parlaient tous anglais et français, et je ne parlais que l’anglais.
LR: Vous rappelez-vous où vous étiez durant la Crise d’octobre ?
AY: J’étais à McGill. On descendait et il y avait l’armée partout ! Je suis rendu vieux, alors ma réaction face à tout ça a été filtrée à travers tant d’années, mais j’essaie de capturer ma réaction de l’époque… C’est difficile, mais ouais, je n’aime définitivement pas les armes et les gars de l’armée dans les rues, mais c’était une période intéressante. Je n’ai jamais voté Libéral mais j’aimais bien Trudeau. L’affaire qu’il a faite avec les boîtes de Corn Flakes Kellogg’s—le bilinguisme—je veux dire, s’il avait pu rendre le pays bilingue, il y aurait eu un soulèvement, mais tout ce qu’il a fait c’est de dire : « Si vous allez vendre des Corn Flakes à Calgary, vous pouvez le tourner [le paquet] d’un bord et au Québec vous pouvez le faire de cette façon [le tourner du côté français]. »
Et puis je pense que ça a pris 30 ou 35 ans, jusqu’à ce qu’un gars au Manitoba dise : « Si je peux me procurer une boîte de Corn Flakes bilingue, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas avoir mon ticket de stationnement en français. Et la Court suprême a dit : « Le gars soulève un bon point ! » Trudeau, ça c’était le genre de gars qui pensait loin. Vous pouvez leur imposer l’assurance-maladie, leur imposer l’assurance-chômage, mais vous ne pouvez pas leur imposer la langue. Mais dans le temps, j’étais ambivalent par rapport à tout ça. Je ne savais pas quoi en penser, mais je savais que je n’aimais pas ça.
LR: Alors lorsque René-Lévesque gagna l’élection en 1976…pas de grosse réaction ?
AY: Je n’ai pas voté PQ, non. Je n’ai jamais été à ce point naïf. J’étais naïf au début—dans les années 1960, lorsque le mouvement d’indépendance est apparu—il y avait quelque chose à propos de la démocratie à petite échelle et la gauche qui me plaisait, alors j’ai essayé de participer, mais étant anglophone—je me suis heurté à, devinez quoi ?—des mauvaises langues (rires) J’ai contacté le Parti québécois et ils ne voulaient pas me parler anglais ! Alors je disais, « je suis intéressé par ce dont vous parlez mais – puisque je suis anglophone – vous ne voulez pas me parler, j’ai compris ! » Trudeau a écrit quelque chose dans le même temps, quelque chose comme : « Grattez sous la surface d’un Séparatiste et vous trouverez un Conservateur ! »
De mon point de vue, ce qui est arrivé, dans le fond, c’est que l’église catholique était autrefois protectrice de la langue française. Puis la Révolution tranquille a condamné le contrôle de l’éducation par l’Église et l’a transféré au système séculier. Mais, si vous vouliez aller en affaires, bien, vous deviez quand même aller à une université anglophone, donc jusque-là, si vous vouliez un diplôme, vous deviez parler anglais. Alors dans le fond, personne ne l’a vu venir, parce qu’ils embauchaient des francophones qui cadraient si bien—Eh bien, ce formidable système d’éducation !—alors c’est devenu plus difficile lorsque que vous aviez les premiers diplômés en 1964 et 1965 parlant uniquement français. Ça c’est au moment où la Révolution tranquille est devenue plus bruyante…
LR: Vous êtes-vous senti forcé de considérer un déménagement en 1976 lorsque—sans doute—vous aviez des amis qui quittaient ?
AY: Oh, tout le monde quittait à ce stade là. Ma sœur travaillait pour BP et ils ont déménagé leur siège social, et mon Dieu, elle a fait une fortune ! Ils l’ont aidé à déménager, l’ont aidé à acheter une nouvelle maison. Je veux dire, pourquoi pas partir ? Tout cela [la Révolution tranquille] avait besoin d’arriver. La chose la plus facile pour le voir est le Vermont : Vert Mont, les montagnes vertes. Tous les noms français, tous anglicisés ! Si vous jetez un coup d’œil à cela… quelque chose devait arriver. Si nous sommes tous pour être des anglos, nous allions tomber aux mains des Américains éventuellement.
LR: Bien, je suis content que vous soyez resté.
AY: Ben, McGill n’a jamais bougé ! Et ça a été très, très bon pour moi ! Je n’ai jamais terminé l’école secondaire. Je n’aimais pas l’école. L’ironie est que l’école a été toute ma vie ! J’ai la chance d’aller à l’école tous les jours pour ma vie professionnelle. Ils vont me donner une épingle pour mes 45 années de travail à la bibliothèque de McGill, mais je n’irai pas à la cérémonie !…

Allan va toujours voir des concerts à Montréal sur une base régulière.

Juan Rodriguez légendaire journaliste rock et son Pop See Cul  
 Garth Gilker du Santropol et le People’s Yellow Pages

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Commentaires

  1. Richard
    jeudi, août 16th, 2018
    J'ai quelques photos des Sidetrak au New Penelope
  2. Richard Duranleau
    jeudi, août 16th, 2018
    J.C. Lewis des Sidetrak etait un cousins des Loving Spoonful.
    Je me souvient bien de Mike Bloomfield jouant avec Paul Butterfield. Il jouait complètement absorbé dans son voyage. Il était vètu d'un chemisier mauve pâle en bas de la ceinture et ses cheveux. Quelle image !
  3. Daniel Kieffer
    samedi, avril 23rd, 2022
    J'ai fait quelques photos De Sonny Terry et Brunie Mc Guee , de Muddy Water et son groupe au New Peneloppe. Je les ai déposées au Musée Mc Cord. Je Pense qu'on peut les voir en Ligne à Fond Daniel Kieffer.
  4. Daniel Kieffer
    samedi, avril 23rd, 2022
    Je regrette beaucoup de ne pas avoir assisté à tous les concerts du New Penelope, je vais voir si mes amis survivants de cette époque ont des documents.
    Bravo pour ce blog.