Montréal Underground Origins Blog

Garth Gilker du Santropol et le People’s Yellow Pages

17.08.2016

Publié annuellement à Montréal du début au milieu des années 70, The Peoples’ Yellow Pages est un guide décomplexé pour ceux qui s’intéressent aux modes de vie alternatifs et underground. Au mois d’octobre 2015, Louis Rastelli est en entrevue avec son éditeur, Garth Gilker, à son fameux Café Santropol. Cette institution du Plateau-Mont-Royal a ouvert peu après la dernière édition de The Peoples’ Yellow Pages, et célèbre ses 40 ans à l’été 2016.

montreal_peoples_yellow_pages_winter73_f-coverw
Également connu pour sa longue carrière d’acteur, Gilker se remémore ses années de jeunesse dans la métropole et comment il en est arrivé à cataloguer le pendant alternatif de la ville durant la période florissante comprise entre Expo67 et les Olympiques de 76. Les éditions complètes de ces pages jaunes, scannées par ARCMTL en 2015, sont disponibles ici.

GG: Je suis un Gaspésien de New Carlisle, même ville que René Lévesque, mais il était beaucoup plus vieux que moi, plutôt de l’âge de mon père. Mes parents le connaissaient, et j’ai encore un chalet là-bas sur la même rue que sa maison. Toute ma famille, mes parents et les 6 enfants ont tous déménagé ici, pour que l’on puisse vivre à la maison et se permettre d’aller à l’université. On a fini à St-Lambert. Mon père était inspecteur de bétail, et l’abattoir était en bas de la rue Bridge, juste là où se trouve le Costco aujourd’hui sur Bridge et Mill, ce qui représentait un court trajet en voiture jusqu’au pont Victoria. Ça c’était au début des années 1960— on était une dizaine, parce que deux des amis de mes frères sont venus avec eux pour aider. On a tous habité dans un seul et même appartement, un 5 ½… on était 10, plus un chien. J’habite maintenant dans un 5½ tout seul (rires). Je suis chanceux d’avoir tout cet espace pour moi ; crois-moi, je l’apprécie encore.

Garth Gilker at the café he opened in 1976 (and still operates), Santropol. Photo by Louis Rastelli.

Garth Gilker au café Santropol qu’il a ouvert en 1976 (et qu’il opère toujours). Photo par Louis Rastelli.


LR: Êtes-vous allé à l’école secondaire à St-Lambert ?
GG: Ouais, mais plus tard nous avons déménagé à la ville de Le Moyne, qui fait maintenant partie de Longueuil. Cette ville faisait environs 5 rues de large et 4 blocs de long (rires).
LR: Quand avez-vous commencé à aller au centre-ville ?
GG: C’est à l’époque d’Expo 67 que j’ai commencé à venir en ville plus souvent, alors que j’étais adolescent. J’ai travaillé à Expo de ’67 à ’69.
LR: Avez-vous vu des actes musicaux ou concerts à Expo 67 ou Man And His World?
GG: Je n’ai fait que travailler quand j’étais là-bas. J’étais chauffeur de taxi sur le site, dans une voiturette de golf. Je me suis trouvé à faire de la sous-traitance pour des restaurants, alors quand les touristes me demandaient où manger, j’avais déjà une liste de noms de restaurants qui me donneraient des repas gratuits si je leur amenais des clients. Plus tard, j’avais un groupe de chauffeurs de taxi qui faisaient ça. Il y avait une montre avec un petit drapeau dessus qui ressemblait à un compteur, mais les gens ne savaient pas que ce n’était pas un compteur. On avait toutes sortes d’escroqueries qui se passaient. À un moment donné, le Maire Drapeau a fait arrêter chacun de nous, on est allé en prison pour x-nombre d’heures—oui il y avait une prison à Expo ! Nous les chauffeurs de taxi d’Expo nous étions tellement hors de contrôle ! (rires). Ça c’était en ’68. En ’67 j’étais le répartiteur pour toutes les Balades, les trains qui conduisaient les gens à travers le site. Je gardais une trace de combien de personnes traversaient les entrées et je guidais les Balades vers chacune d’entre elles. Je faisais aussi le travail de nuit, réparant les trains des Balades lorsqu’ils étaient endommagés ou avaient des pneus crevés, vous aviez le tracteur et vous deviez toujours avoir les voitures B et C qui le suivaient, vous ne pouviez jamais avoir deux B ou deux C qui se suivaient. Alors je vivais là ! Mon bureau était de l’autre côté du pavillon américain, mon petit kiosque, où je distribuais tout. Je restais là toute la nuit… c’était comme être dans un monde imaginaire, c’était merveilleux. C’est là que j’ai vraiment commencé à voir qu’il y avait un autre monde à l’extérieur. Nous les employés, nous avions nos propres endroits où nous mangions et prenions nos douches et tout.
LR: Il y avait beaucoup d’hôtesses aussi. Y-avait-il beaucoup de camaraderie ?
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_07w
GG: Oh ouais ! Je me souviens en ’67, avoir rencontré les hôtesses de Tchécoslovaquie et je me souviens d’avoir fait la même chose en ’68, et c’était le jour et la nuit ! Puisque la révolution avait eu lieu entre temps (Printemps de Prague). Leur pavillon était parmi ceux sur lesquels on s’extasiait le plus, ils étaient tellement fiers de leur verrerie et leur charpente métallique, qu’ils bouillonnaient tout simplement d’enthousiasme. Puis en 1968, ils pleuraient, c’était comme passer d’un nouveau départ pour leur pays à l’opposé complètement. Expo 67 était une célébration si culturelle, les Olympiques étaient un cauchemar total, tout le contraire, elles n’avaient rien à voir avec la culture… Les gens qui visitaient étaient uniquement intéressés à acheter des cendriers avec les logos des Olympiques dessus, tandis qu’à Expo, vous aviez des boutiques qui vendaient des sculptures qu’ils taillaient in situ.
LR: Puisque vous avez travaillé à Expo, avez-vous aussi réussi à profiter de beaucoup de choses, incluant la bouffe…
GG: Cela m’a probablement exposé à… au fait qu’il y avait tout un monde à l’extérieur, et c’était même après ça que je suis allé en Europe. Mon père était toujours dans le jardinage, même s’il était inspecteur de bétail, il aurait dû être pathologiste de plantes honnêtement… alors j’ai toujours eu un intérêt pour les jardins et les espaces… mais c’est Expo 67 qui m’a appris que l’homme pouvait dupliquer la nature grâce au jardinage… ils ne pouvaient pas remplir le paysage qu’ils avaient créé, ils n’avaient pas assez de pavillons alors tout le côté sud de l’Ile-Notre-Dame avait été paysagé et aménagé en petits terrains miniatures, telles des reproductions de différents paysages du Canada. Dans les lacs, vous aviez des îles rocheuses qui représentaient les îles rocheuses au large des côtes de Terre-Neuve et autres. Je me souviens d’être allé là-bas et d’avoir été très impressionné avec le fait que l’on pouvait en transformer certaines parce que c’était tout du gravat qui provenait du métro et comment on pouvait prendre ce gravat et en faire un espace vert, c’est là que j’ai vu ça pour la première fois ! Ça a fini par m’inspirer. Je me suis trouvé à creuser l’arrière d’un lot vacant et de jardiner là (au restaurant Santropol).
En ’68, j’ai fait assez d’argent en travaillant pendant l’été pour aller faire de l’autostop à travers l’Europe pour un an ! C’est là que j’ai eu l’idée du People’s Yellow Pages, à Amsterdam.
montreal_peoples_yellow_pages_winter73_117w Quand je fus de retour, mon cousin était monté de Gaspé et vivait dans un bâtiment condamné sur Des Seigneurs juste en bas du chemin de fer de la Petite-Bourgogne. Ça coûtait 45$ par mois, et je réalisais que je pouvais me permettre ça… J’ai roulé à vélo dans ce quartier (Plateau Mont-Royal) un soir d’été et ça m’a fait penser à l’Europe ; à cette époque, il y avait beaucoup de Grecs ici. J’avais passé plus de trois mois en Grèce, alors j’étais comme « Wow ! Je vais devoir vivre dans ce secteur. » Il y avait beaucoup de boulangeries et d’endroits que l’on ne verrait jamais à St-Lambert, alors je me suis pris un appartement sur Coloniale où tout le monde finissait habituellement par se trouver un appartement pas cher. En fait, je devais quitter au milieu de la nuit, même si c’était pas cher à l’époque, j’ai fini par ne pas pouvoir me permettre cet appartement à un moment donné.
LR: Avez-vous trainé à des endroits en particulier au centre-ville à l’époque ?
GG: Je connaissais Rockhead’s, parce qu’à un moment donné mon cousin louait dans la Petite-Bourgogne, je passais le voir, on buvait et je ne réussissais jamais à retourner en banlieue. L’endroit dont je me souviens le mieux était The Love sur la rue Guy, juste de l’autre côté de The Stork Club, c’était au 2e étage et c’était une place pour danser. Mais ça c’était plus au début des années ‘70. The Stork Club était un très bel endroit à l’intérieur avant que quelqu’un ne le transforme en un bar plus contemporain… Même les tables étaient illuminées par en-dessous avec des cigognes gravées dans le verre. C’était vraiment un bel endroit ancien, de la vieille école, un vrai bar d’époque.

À la porte du New Penelope Café avec Allan Youster  
 Freda Guttman, artiste et activiste vétéran de Montréal

Laissez un commentaire