Montréal Underground Origins Blog

Juan Rodriguez légendaire journaliste rock et son Pop See Cul

10.02.2017

From Pop See Cul (1971)

AT: Il construisait son propre mythe …

JR: Oui, il savait exactement ce qu’il faisait, et il était bon, il était vraiment bon. J’ai donc fait tous ces magazines. Meltzer a publié son propre magazine, qui s’appelait Ajax, il l’a imprimé sur les machines Xerox de Columbia Records, il en tirait une centaine d’exemplaires, ils étaient assez épais. Il a imprimé un article que j’ai écrit intitulé «Le père de Neil Young», sur Scott Young. C’était un journaliste sportif et il incarnait une sorte de Monsieur Toronto, de Mr Droiture. Il tenait même sa tête levée comme ça ; Mr Droiture ne pouvait pas supporter tout ce rock and roll, et quand l’ampli de Neil a lâché, il a refusé de payer pour le nouvel amplificateur.
Scott Young a écrit un livre intitulé «Face Off», qui est devenu un film canadien, dans lequel il est question d’un jeune sportif qui tombe en amour avec une chanteuse. Et soudainement, cette nouvelle recrue disqualifie sa ligue pour la saison, alors que cette chanteuse rock l’entraîne dans ses habitudes de mauvaise vie. Il est mis au banc et des trucs comme ça, ils sont en série éliminatoire, il va sur la glace, marque une série de points. Pendant ce temps, sa petite amie rock star meurt d’une overdose. Alors il bondit sur la glace, « Ce point-ci est pour elle », c’était vraiment un film de merde, c’était pas croyable. C’était une critique manquée de son fils, évidemment… Je ne supportais pas Neil Young, et je ne l’aime toujours pas beaucoup…
Je ne peux pas supporter sa voix, je ne peux pas supporter le gémissement, “Helpless, helpless, helpless”, et “A maid, a maid, a man needs a maid”, je trouve ça si mièvre et stupide ; « Old Man » est évidemment à propos de Scott Young. Je ne le supporte pas. Et je me rappelle de ce concert, je regardais toujours les spectacles depuis le côté de la scène, parce que je suis un peu claustrophobe et que je n’aime pas avoir un siège en plein milieu. Quand j’ai regardé Neil et son groupe entrer sur scène, j’ai vu qu’ils étaient complètement défoncés. Pendant ce temps, un jeune en bas disait: «Neil, Neil, Neil, est-ce que je peux avoir ton autographe?» Il était tellement gelé, il n’aurait pas remarqué le fan du tout, vous voyez le genre ? Ça a fait une critique négative. Une autre mauvaise critique que j’ai écrite était pour Led Zeppelin.

DD: Celle-là a été célèbre.

JR: En gros je dis que vous voyez les dix premières minutes et vous avez vu le spectacle en entier, parce que c’est juste de la répétition, constamment. Ils sont restés dormir pour la nuit et ils ont vu ma critique, donc ils sont passés par la chaîne locale CFCF 12 et se sont plaints, et Channel 12 les ont fait parler aux nouvelles ! Il y avait Robert Plant qui se lamentait à propos de la critique en ces termes (accent britannique) : « Ce morceau de merde ne sait pas de quoi il parle! » (Rires)

LR: Vous avez cassé leur rêve, « pété leur balloune »…

JR: Absolument. J’ai complètement pété leur balloune, j’ai lu plus tard sur un site de fans que c’est la pire critique qu’ils aient jamais reçu.

LR: Ça c’est un tout gage d’honneur, non ?

JR: Oui, c’est un gage d’honneur. Il n’y a pas longtemps, Robert Plant était en ville avec Alison Krauss pour le Festival de Jazz, et je l’ai rencontré dans la salle de presse. En tout cas, j’ai aimé l’album avec Alison Krauss, j’ai pensé que c’était fantastique. On nous a présenté, et j’ai dit à Robert: «Cette critique que vous avez eue à Montréal lorsque vous êtes venus pour la première fois, elle était assez dure, n’est-ce pas?» Il a acquiescé et j’ai dit: «Ben, c’est moi qui l’ai écrite ! » (Rires) Il a souri et a dit (accent britannique) : « Ravi de vous rencontrer, content de voir que nous sommes encore là tous les deux », c’était drôle.

LR: Je demande à tous les participants de ce projet [Montreal Underground Origins
] de nous partager leurs souvenirs du milieu des années 1970, où on a vu comme un tournant et la fin d’une époque qui avait commencé dans les années 60, notamment avec l’élection du PQ en 76.

JR: J’étais sur le Mont-Royal le jour de la Saint-Jean Baptiste, juste avant l’arrivée au pouvoir du Parti Québécois. Les passions s’embrasaient, et bien sûr nous étions complètement stone, on errait dans les rues… on aurait dit l’Enfer de Dante! Il y avait de nombreux feux de camp, les gens prenaient des sacs de vidange et les faisait sauter, boum !

LR: Étiez-vous-là à ce fameux concert où ils ont chanté Gens du Pays pour la première fois ?

JR: Absolument, j’étais à ce spectacle. Vous savez, j’ai toujours été très sympathique à la cause séparatiste, parce que je pense que c’est, de fait, un pays avec sa propre langue. Donc, je ne me suis jamais senti menacé par le séparatisme en tant que tel – les scrupules que j’ai toujours eu étaient plutôt de l’ordre de comment ils traitaient les Inuits, par exemple. La seule façon de prendre le pouls d’une société est en regardant la façon dont ils traitent « l’autre». C’est bien là que le test résidait. Àl’origine je pensais que les Québécois le passeraient haut la main, mais maintenant j’ai mes doutes. Ils sont un peu coincés avec « l’autre ». Dans le temps c’était la vague haïtienne, mais maintenant c’est la vague musulmane. Et il y a de moins en moins de québécois pure laine.

LR: À quoi ressemblait la scène musicale francophone de l’époque?

Robert Charlebois in a 1971 issue of Pop See Cul

JR: Gardez à l’esprit que pendant ces dix ou onze ans où j’étais sur le coup, je devais voir tout le monde qui jouait, peu importe qui ils étaient. Et il y avait trois, quatre concerts par semaine. J’ai écrit sur Jacques Michel, critiqué Claude Dubois, tout le monde. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’ils chantaient, mais ils adoraient voir les anglos s’intéresser à leur culture. Ils aimaient ça. C’était clairement important à leurs yeux.
Je me souviendrai toujours, en 1973, quand j’ai fréquenté les gens du Ville-Émard Blues Band, qui était un amalgame de groupes… L’un d’entre eux était le groupe qui jouait pour Robert Charlebois. Charlebois et son groupe partaient en France pour la première tournée depuis que Charlebois avait [supposément jeté dans le public] un tambour à l’Olympia, quand les Français les ont traité de « Sauvages d’Amérique du Nord » et tout ça. Ils y retournaient enfin, et ces gars de Ville-Émard ont dit : «Pourquoi ne viendriez-vous pas nous rencontrer dans une ville européenne ? » On s’est rencontrés près de Genève. Christian Saint-Roch était le batteur, un grand batteur, il m’a donné un morceau d’hash afghan très foncé, gros de même…

LR: Comme une balle molle?

JR: Ouais : « C’est pour toi, mec, pour profiter du voyage », vous voyez ? Nous avons fait le tour de la France ; vous savez, c’était comme The Magical Mystery Tour. On s’est beaucoup amusés. J’étais en quelque sorte l’initiateur de la réunion de cette bande du Ville Émard Blues Band. C’était très compliqué, rassembler dix-huit personnes avec tous ces styles différents… Ils ont joué à guichet fermé au théâtre Saint-Denis, mais c’était très difficile à obtenir dans l’ensemble. Les cigarettes Player’s ont parrainé une tournée québécoise, mais ils demeuraient un genre de groupe culte alternatif. J’ai rédigé les notes d’accompagnement de leur premier album. Je me souviens qu’un de leurs fans était Robert Lemieux, l’avocat du FLQ. Et je me rappelle qu’après l’un de leurs concerts à l’aréna Paul Sauvé, ils ont arraché ces planches de bois et nous avons joué au hockey avec une bière vide. L’arbitre était Robert Lemieux en personne, l’avocat séparatiste. On a vécu beaucoup de bons moments. J’ai pris beaucoup de drogues avec eux, pris la meilleure mescaline… Et même à Paris, Bill Gagnon, le bassiste, qui était un bassiste libre, libre, je le trouvais très bon… Il m’a donné une sorte de somnifère pour Paris, disant : « Nous devons nous battre maintenant. Et si tu te bats, si tu te bats, tu seras vraiment très high, man !  »

LR: Si vous ne vous endormiez pas…

DD: Peux-tu nous parler un peu de ton histoire et de ton amitié avec Pag (Michel Pagliaro)? Je sais que vous êtes très proches…

JR: Je l’ai découvert au début des années soixante-dix. Je connaissais les hits anglais, et par la suite je suis passé à travers tout le répertoire musical. Il dirigeait un studio dans le Vieux-Montréal et il commandait cette coke qui était incroyablement bonne. Nous parlions toute la nuit, la nuit entière, il me jouait des tonnes de morceaux. Il venait chez moi quand j’habitais sur Atwater, aussi pour la soirée complète, puis il était capable de rentrer chez lui très discrètement dans sa Cadillac, très tranquillement. En terme de succès musical, il était très gros à l’époque, il passait beaucoup de ses nuits dans le studio.
En vérité, j’ai souvent pensé qu’il était le meilleur rock and roller que j’ai jamais entendu, quand il était en forme. Je pense que son dernier album Sous peine d’amour est magnifique. Incroyable, incroyablement bon. Mais le truc avec Pag, c’est qu’il n’a soit pas eu le bon management, ou alors il n’a pas su dépasser son incorrigible timidité.
Il est allé à Los Angeles, Meltzer l’a rencontré, Meltzer l’a adoré, il aurait fait n’importe quoi pour lui, mais ça n’a pas cliqué. Même aujourd’hui, je ne sais pas si c’est le rapport à la foule ou quoi, mais les connexions n’ont pas fonctionné. Ces hits qu’il avait en anglais, comme « Some Sing, Some Dance » ou « Rain Showers », ont été joués sur les stations de radio de la côte Est. C’étaient des chansons culte, mais elles ne dépassaient pas la trente-sixième ou la quarante-deuxième position des palmarès, bien qu’il ait un pied là-bas et que tous les critiques, la clique des gens que je connaissais l’adoraient . « On en veut plus, donnez-nous en plus! » Pour une raison obscure, les conditions n’étaient pas réunies. On ne saura jamais pourquoi.
Je me rappellerai toujours, en 1976, nous sommes allés à une game de hockey, c’était la nuit où le Parti-Québécois a remporté l’élection. Montréal jouait contre les Blues de St-Louis, mais le long de la petite bande, là où ils avaient les scores affichés, le décompte des voix électorales était donné toutes les dix minutes. À la fin de la partie de hockey, Pag a dit: «Merde, man, c’en est fini pour moi ici. Tout est fini. »
Donc on s’est dit « Allons chez Marty », Marty Simon, le batteur, qui habitait sur la rue Stanley. Pag a pris un énorme sac de coke, je veux dire un vraiment gros sac de coke, vraiment immense, il l’a déposé sur la table à café de Marty, et nous ne sommes pas partis avant d’avoir tout fini. Et laissez-moi vous dire qu’il y en avait ! Il craignait un revers de carrière parce qu’il n’était pas pure laine, ce qui était une chose vraiment importante à ce moment-là – vous savez, des carrières entières se construisaient sur les valeurs séparatistes d’un artiste.

LR: Donc vous avez vu le grand exode ?

JR: Oui, absolument, j’ai même dû déménager à Toronto quand The Star s’est mis en grève. J’y ai écrit pour quelques magazines canadiens, des magazines spécialisés.

DD: Comment te sentais-tu, politiquement parlant ? À l’époque, être à Toronto a dû t’enlever un poids des épaules….

LR: Mais vous réalisez aussi que vous êtes à Toronto…

JR: Exactement, je détestais Toronto, je détestais la façon d’y vivre. J’y ai vécu parce que mon ami Chris Haney, qui a co-inventé le Trivial Pursuit, était un de mes collègues à la Gazette, et il a dit: « Donne une chance à Toronto, donne donc une chance à Toronto ». L’ambiance était vraiment tendue à la Gazette et il a dit « Juan, si tu es capable d’absorber toute cette merde, tu dois vraiment l’aimer. » (Rires) Puis il a dit, « Je quitterai cet emploi de toute façon, mais si tu pars maintenant, je vais partir avec toi. » Et je suis monté aux bureaux, j’ai annoncé mon départ avec deux semaines de préavis ; ils avaient un agent de sécurité posté juste à côté du bureau qu’on a appelé « la garde de Juan » (Rire).

Puis, dès que The Star s’est remis en marche, je suis revenu.

(Note de la rédaction: Le Montreal Star a fait faillite et a fermé ses portes peu de temps après la grève mentionnée, et Juan Rodriguez a depuis écrit régulièrement pour la Montreal Gazette.)

Pop See Cul number 3

John Heward  
 À la porte du New Penelope Café avec Allan Youster

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Commentaires

  1. drew duncan
    vendredi, octobre 13th, 2017
    Drew Ducan, collectioneur....c'est toi sans doute. J
  2. jean chouinard
    dimanche, juin 21st, 2020
    Juste une petite correction: Nanette Workman n'a jamais chanté sur honky Tonk woman.Par contre elle sur l'enregistrement de la chanson ''countryhonk' 'qui est en fait la version country qu'on retrouve sur Let It bleed. Jagger avait d'ailleurs changer le lieu d'origine de la chanteuse au premier couplet(Pittsburgh/Jackson)
    Nanette étant originaire de Jackson.C'est du moins ce qu'elle raconte dans son autobiographie.