Montréal Underground Origins Blog

L’artiste Erik Slutsky sur la scène musicale du Montréal des années 60 – 70

18.12.2015

LR: Était-ce une foule mixte ?

ES: Ouais, ça l’était.

LR: Parce que j’imagine qu’à l’époque, les communautés noires se trouvaient en bas que la station Windsor, proche de Bordeaux, là où se trouvait Rockheads, sur Saint-Antoine.

ES: Malheureusement, je n’ai jamais été à Rockheads. J’ai vu cependant Little Stevie Wonder dans l’une de ces boîtes. Il se faisait appeler Little Stevie Wonder à l’époque.

LR: Au Esquire ?

ES: Je pense que oui, ou peut-être au Hawaiian Lounge. J’ai découvert l’Esquire à la fin de l’époque du New Penelope. C’était un endroit plus classe, il y avait une sorte d’atmosphère de boîte new-yorkaise, et c’était visiblement géré par des gangsters, ou ça avait l’air de l’être, ce qui le rendait d’autant plus attrayant à certains égards.
LR: Était-ce similaire au New Penelope, 150, 200 personnes ?
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ES: Non, c’était plus grand. Si je me souviens bien, il y avait une piste de danse et des tables et des chaises. Tu pouvais commander des boissons de ta table, ce qui était assez classe pour nous juste après le New Penelope, où tu t’asseyais sur des bancs avec une planche en bois devant toi sur lequel tu pouvais déposer ton café. Mais on s’en foutait.

Il y avait aussi un endroit appelé George Soroya’s Hawaiian Lounge, c’est là que j’ai vu Stevie Wonder, je pense. C’était presque pareil que le Esquire show bar, il se peut que ça ait été sur la même rue ou dans le même secteur, je ne sais pas ce qui est arrivé à cet endroit.

LR: Il y avait aussi le Kon-Tiki sur la même rue.

ES: J’allais souvent au Kon-Tiki avec mes parents.

LR: Je vois sur la liste de concerts que vous avez conservé à l’époque que vous avez vu Muddy Waters au Esquire, aviez-vous 18 ans alors ou ne cartaient-ils simplement jamais les gens pour les concerts ?

ES: Non, je pense bien qu’ils cartaient au Esquire. J’avais peut être 18 ans. J’y ai vu James Cotton à plusieurs reprises. Et je suis bien devenu un fou de l’harmonica ; j’ai encore quelques harmonicas.

LR: Je retrouve aussi beaucoup de groupes musicaux d’Expo 67 sur votre liste.

ES: J’y allais tous les jours en été. J’avais 14 ans, j’avais un laissez-passer qui était bon pour toute la durée de la foire, je ne me souviens plus combien ça avait coûté. Il y avait assez pour t’occuper une journée entière, à visiter différents pavillons, et il y avait des tonnes de malbouffe si bien que nous nous bourrions la face.

LR: Expo devait être comme un grand terrain de jeu. Je présume que c’était très bilingue.
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ES: Des centaines de milliers de personnes visitaient chaque jour, je pense avoir été là lorsqu’ils avaient le plus de monde, je crois bien que c’était 400 000 personnes en une journée. Il devait y avoir une foule très mixte.

LR: Je n’ai pas vraiment posé la question mais j’ai juste supposé qu’en grandissant, vous avez senti faire partie de la communauté anglophone ?

ES: Je sentais faire partie d’aucune communauté, mais je faisais évidemment partie de la communauté anglophone, comme il n’y avait tout simplement pas de Francophones là où je vivais.

LR: Comment avez-vous appris le Français par la suite ?

ES: Ils l’ont enseigné très bien à l’école. Extrêmement bien. Ils l’ont enseigné de façon machinale. Nous devions tout mémoriser, la grammaire, à commencer par avoir et être et mémoriser tous les passé composé, impératif, futur, présent et puis on ne faisait que les mémoriser. De la même manière nous avons appris les mathématiques 2X2=4, 4X8=32, je n’ai pas besoin d’y penser, ça s’est inscrit et ça a fondu dans nos cervelles. Une fois qu’on avait appris la conjugaison des verbes, et qu’on a commencé à apprendre comment utiliser les noms et tout correctement dans une phrase, nous l’avons appris assez bien. Le seul problème était que nous avions peu d’occasion d’utiliser la langue.

LR: C’est ce que j’allais dire : comment conserves-tu ton français alors ?

ES: Je ne l’ai pas fait jusqu’à ce que je devais en quelques sortes le réapprendre, cette base était encore là par le temps que je déménage en France pour deux ans, en 1973 ou 1974, alors j’avais 20 ou 21 ans. Je suis allé à une école d’art française là-bas et j’étais le seul anglophone. J’ai été complètement immergé dans la culture française, et assez étrangement je n’avais jamais été immergée par elle ici à Montréal. Une fois de retour, c’était facile désormais de connecter avec la communauté francophone, ils se moquaient de mon accent français quand je suis revenu ici. J’ai vécu au Sud alors c’était un accent Provençal. Dans ma vingtaine, j’ai commencé à connecter avec des francophones et j’ai déménagé au Mile End qui était multiculturel à l’époque, tu sais, Portugais, Français, Grecs, Anglais, il y avait un peu de tout. Et souvent maintenant, je suis bloqué dans ces situations où il se peut que je sois le seul anglophone. Je ne comprends pas tout ce qui se passe parce qu’il y a certaines phrases que je suis encore en train d’apprendre et ma courbe d’apprentissage est assez aplatie à ce stade de ma vie, mais la majorité des gens me disent : Oh, vous parlez très bien français. Aussi longtemps que vous faites de votre mieux, ils changeront habituellement à l’anglais s’ils savent que vous avez fait l’effort de parler français. C’est pourquoi je n’ai jamais compris la raison d’être de ces groupes de Droits des anglophones.

LR: Si le but est de préserver le droit de vivre en anglais uniquement, au Québec, je pense que c’est ridicule. C’est la même chose pour tous les séparatistes pur et dur qui pensent avoir besoin du droit de vivre et de travailler en français uniquement, à jamais.

ES: Pour moi, l’idée d’être un anglophone qui a vécu dans cette ville toute sa vie sans être capable de parler français est au-delà de ma compréhension. Je suis très, très, très heureuse d’avoir un pied dans les deux mondes, et d’avoir le meilleur des deux. Et bien sûr il y a bien plus qui se passe dans la communauté francophone à Montréal, en termes de qualité de la culture, comparativement à dans la communauté anglophone. Par exemple, j’aime beaucoup le théâtre, mais la qualité du théâtre anglophone est loin de rejoindre la qualité des acteurs des théâtres francophones. Les acteurs francophones au Québec, ils ont l’opportunité de pratiquer beaucoup, de faire de la télévision, du théâtre, des films, des talk-shows ; ils peuvent travailler et ils peuvent affiner leur art tandis que les artistes anglophones, acteurs, n’ont pas cette opportunité, ils ont juste le Centre Segal et le Centaur. Je suis allé tout récemment au Centaur, et je fus très déçu. Et je suis allé avec une femme Canadienne française… L’écriture était d’une qualité médiocre. Le jeu était aussi médiocre. J’étais en fait un peu embarrassé face à la dame avec qui j’étais allé, parce que j’ai déjà été au Théâtre du Rideau Vert, au Nouveau Monde, vous savez, de bons théâtres, et j’ai vu des trucs vraiment aussi bons que l’on puisse voir partout au monde. Ceci n’était tout simplement pas à la hauteur. La pièce avait été présentée à guichet fermé, mais quand j’ai regardé autour de moi dans la salle, j’ai pensé : je n’ai pas vraiment envie d’être l’un des membres de ce club. Parce que ça ressemblait à un club privé d’une certaine manière. Je ne veux pas être perdu dans cette bulle. C’est ce que j’aime de vivre dans le Mile End, Le Plateau… c’est vraiment bien d’avoir l’opportunité de faire l’expérience de beaucoup de cultures différentes, c’est tout simplement une dimension merveilleuse de la vie.

Another clipping kept by Erik Slutsky from a show he attended in the late 1960s.

Another clipping kept by Erik Slutsky from a show he attended in the late 1960s.


LR: S’agit de quelque chose que vous avez vu changer à Montréal—avant que vous ne soyez allé à Expo 67 tous les jours cet été là, je suppose que jusqu’à là Montréal n’était pas exactement le lieu le plus multiculturel. Puis par le temps que vous soyez revenu de France, six ou sept ans plus tard, vous avez dû sentir que les choses changeaient ?

ES: Bien, jusqu’à un certain point, jusqu’au premier référendum, c’était en 1980, je suppose, la chose principale était que vous aviez l’anglais et le français. On ne parlait pas de la communauté musulmane ni de la communauté noire… Maintenant on a une immense communauté arabe, une immense communauté de Français de France, une gigantesque communauté de gens de l’Asie du Sud… ils ont tous introduit leurs cultures et comme ils ont construit leur richesse, leur influence s’étend au-delà de leur communauté. Par exemple, la communauté Philippine, qui a commencé toute petite constituée d’une poignée de dames prenant soin de leurs enfants et de leurs tâches ménagères, au cours de la dernière génération ou deux, merci bon Dieu, ont réussi à faire venir leurs maris et leurs enfants. Heureusement, plusieurs ont réussi à sortir de ce marché, et bien sûr, la prochaine étape était de devenir infirmières et des choses comme ça, ouvrant des restaurants et des commerces et puis, leur impact commence à s’étendre au-delà de leur communauté et ça s’est super.

LR: Vous avez vu cela en 1974, 1975, 1976, au Mile End…

ES: Le Mile End était en déclin dans les années 1970.

LR: Alors beaucoup de Polonais, de Juifs et de Grecs ?

ES: Pas de Juifs. Au Mile End dans les années 1970 ? Les Juifs avaient déjà quitté le Mile End. Il y avait beaucoup de Grecs. Il commençait à y avoir beaucoup de Portugais, quelques jeunes comme moi parce que j’avais une appart sur St-Urbain à 23 ans. Je ne le réalisais pas encore à l’époque, mais au cours des 10 années suivantes environs, le Mile End était réellement en déclin. Beaucoup de bâtiments se faisaient démolir par leurs propriétaires, les loyers étaient ridiculement bas, les commerces ne marchaient tout simplement pas, c’est difficile de penser à comparer à ce qu’on voit aujourd’hui, mais vous savez, Brooklyn est allé à travers le même type de cycle.

Ça avait commencé beaucoup plus tôt dans le Mile End. En 1954, dans le secteur bordé par de la Savane, Victoria et Jean-Talon, ils ont construit 500 maisons. Mon père et plusieurs personnes de la rue St-Urbain et Clark ont acheté l’ensemble des 500 maisons en l’espace d’une journée. Tu n’avais que besoin d’un acompte de 500$. Ils ont tous emprunté de l’argent à d’autres, ont placé un acompte de 500$ et puis c’était une hypothèque de 39$ par mois pour 25 ans ou quelque chose comme ça. La maison était à 12 500 000$. Alors ils ont tous vendu la journée même, et il s’agissait tous de gars qui se connaissaient de l’ancien quartier Juif. Ils ont tous eu leur premier enfant autour de 1953-54 et la majorité en ont eu un autre autour de 1957. Alors j’ai eu 500 amis, immédiatement.

Ce fut le premier déplacement hors de l’ancien secteur, tout le monde avait été dans le Plateau – Mile End – Outremont jusqu’en 1953, après ça ils ont déménagé. Mais en 1967, 68 j’ai re-déménagé ici.

LR: Vos parents ont-ils trouvé ça bizarre, lorsque vous êtes revenu ?

ES: Non, mon père adorait l’ancien secteur. Il n’y avait rien de tel où nous vivions, à Montréal Ouest. Ils ont tout construit à partir de rien, à partir d’anciennes terres agricoles.

Ninth Floor: En revisitant l’Affaire Sir George Williams, Montréal 1969  
 Ken Norris, Poète de Véhicule

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